L'étude des collections : Orville à la loupe (2).

ARCHÉA permet au grand public de découvrir des objets archéologiques en exposition et aux scientifiques d'étudier les collections en réserve dans le cadre de leurs recherches. En ce moment, c’est le cas de Clarissa Cagnato, postdoctorante en archéobotanique au sein de l'UMR 7041 ArScAn - Equipes Archéologies environnementales, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lors des fouilles du site d’Orville, les archéologues ont découvert que les fonds de fossé avaient servi de poubelles aux habitants durant la dernière période d’occupation du château (entre 1385 et 1438), comme c’est très souvent le cas dans les châteaux médiévaux. Or, ces poubelles contiennent, dans une zone en particulier (la zone 6) énormément de déchet de cuisine. Cela leur a permis de penser qu’une cuisine se trouvait non loin du bord de ce fossé, sur la plateforme du château. Les céramiques utilisées pour cuisiner portent des traces qui peuvent être analysées pour révéler la façon dont elles ont permis de cuire les aliments. Elles peuvent également conserver des restes microscopiques de ces aliments, qui permettent de confirmer et affiner ces analyses « tracéologiques » (l’étude des traces laissées par les outils lors de l'utilisation des objets) sur les cuissons, mais aussi de savoir quels végétaux pouvaient y être préparés. C’est dans ce but que l’expertise de Clarissa Cagnato a été mise à contribution. Une série de tessons de céramique a été prélevée avec précaution dans le fond du fossé médiéval durant la campagne de fouille 2019 pour réaliser l'étude.

 

Clarissa, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

J'ai obtenu ma licence en archéologie à l'université de Leicester en Angleterre, puis une maîtrise à Yale University (USA), et enfin un doctorat en anthropologie à la Washington University de St. Louis, Missouri (USA). C’est au cours ce dernier que j’ai pu me former en archéobotanique, sous la direction de Gayle Fritz. Cette formation m’a permis d’étudier, pour ma thèse, des restes archéologiques provenant de sites Mayas, datant de la période Classique (250-900 après J.C.) au Guatemala, afin de reconstituer les pratiques alimentaires. Depuis, en tant que postdoctorante dans des laboratoires de recherche français, j’ai pu travailler sur différents projets, portant sur des études archéobotaniques en Mésoamérique mais aussi sur d’autres continents.  

Qu’est-ce que l’archéobotanique ?

L'archéobotanique est une branche de l’archéologie qui étudie les relations entre les sociétés humaines et le monde végétal, et ceci à travers l'analyse des restes végétaux. Nous étudions différents restes botaniques, notamment les macrorestes, visibles à l'œil nu : les graines et les noyaux de fruits (c’est la carpologie) et les charbons de bois (c’est l’anthracologie), mais aussi les microrestes qui sont seulement visibles au microscope comme les phytolithes (des résidus organiques issus de la décomposition des plantes, ce sont donc des microfossiles végétaux), les grains d’amidons ou encore les grains de pollen (l'étude de ces derniers est la palynologie). Cette discipline permet non seulement de reconstituer l’économie végétale et de préciser la fonction de certaines structures et outils, mais aussi de caractériser les paléoenvironnements végétaux (les environnements des temps passés).

Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les grains d’amidon et d’où ils proviennent ?

Les grains d'amidon sont des unités microscopiques (entre 1–100 microns de diamètre) de stockage d'énergie des plantes. Ils sont produits par photosynthèse. Ensuite, ces grains d’amidon sont stockés dans divers organes végétaux, en particulier dans des tubercules, des graines et des fruits. Les amidons peuvent être identifiés dans un grand nombre de cas comme provenant d'une famille de plantes, d'un genre ou d'une espèce particulière en fonction de leur taille, de leur forme, de la présence et de l'apparence de certaines caractéristiques physiques. 

En quoi consistent vos recherches et comment se déroulent-elles ?

Normalement je récupère le matériel archéologique à étudier, que ce soit de la céramique, des outils à broyer, du tartre dentaire, ou même des contenus intestinaux. Dans les deux premiers cas, je procède au nettoyage de la surface active en utilisant de l’eau distillée et une brosse à dent propre (et ceci pour chaque objet/échantillon). Je traite ensuite chaque échantillon dans un laboratoire de chimie : les produits chimiques aident à éliminer des éléments organiques qui pourraient perturber la visibilité des grains d’amidon et à dégager les amidons du sédiment encaissant. Après un passage au laboratoire, quelques gouttes de cet échantillon « propre » sont posées sur des lames minces, et ensuite observées sous un microscope à polarisation croisée (x100‐600) associé à une caméra et un logiciel dédié́. Les amidons sont comptés, photographiés et comparés à un référentiel de plantes modernes pour les identifier. On s’appuie aussi sur des référentiels expérimentaux qui permettent d’identifier les stigmates (les marques) de différents modes de cuisson. En effet, les grains d’amidon peuvent être modifiés après avoir été exposés à des transformations. Ils sont notamment sensibles à la chaleur, telle que celle de la cuisson, et aux méthodes de broyage.

Quels sont les objectifs de cette étude ? Qu’est-ce qu’elle apporte à la connaissance du site d’Orville ?

Cette étude consiste à étudier des tessons céramiques prélevés en fond de fossé dans la zone 6 d’Orville pour déterminer les espèces végétales consommées par les derniers occupants du château. Les données recueillies à ce jour indiquent que les occupants du château ont consommé des céréales telles que le blé et le millet commun, mais aussi des légumineuses comme des pois et des lentilles. Les stigmates visibles sur certains grains d’amidon nous permettent également de penser que les aliments du château étaient souvent bouillis et/ou rôtis. En confrontant les résultats à l’analyse tracéologique obtenus par Aurélie Chantran (doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et archéologue travaillant sur le site d’Orville), nous pourrons compléter et vérifier les informations obtenues à travers les analyses des grains d’amidon. Cette étude commune pourra aussi plus largement permettre de mieux connaitre l’évolution des pratiques culinaires au Moyen Age.

Pour aller plus loin ...

Pour compléter encore un peu plus les analyses tracéologiques et l’observation des grains d’amidon, des études, dont nous attendons les résultats, sont réalisées en laboratoire sur les résidus des mêmes tessons de céramiques. Ils nous permettront de vérifier et préciser nos conclusions et d’en savoir encore un peu plus sur le contenu des pots, notamment concernant la présence de matières animales, et l’utilisation des matières grasses dans les cuissons. Le prochain rapport de fouille sera l’occasion pour nous de faire la synthèse de tous ces résultats et d’éclairer un peu plus cet aspect essentiel de la vie quotidienne qu’est la cuisine, au château d’Orville.

Dernière mise à jour : 01 mars 2021

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